Aussi étrange que cela puisse paraître, ma mère insistait pour que je ponctue mes « bonjour » et « merci » par « madame » ou « monsieur ». Aujourd’hui encore, cette marque de respect m’échappe mais, l’éducation ayant fait son travail, j’ai malgré moi pris cette habitude. Avec quelques années de travestissement dans les mollets, je me demande si cette formule de politesse n’est pas la plus blessante qui soit pour les transgenres, si elle est mal utilisée. Les membres du forum m’ont apporté quelques réponses !
Bonjour madame ?
À force de flirter avec les lignes du genre, cela finit par arriver : vos mèches blondes, vos boucles d’oreille, vos vêtements plus colorés et/ou l’absence de barbe (certains cumulent) finissent par tromper : « bonjour madame » lance l’agent de poste distrait ou le grilladin peu averti (exemples avérés), sans pour autant que vous portiez quoi que ce soit de féminin. Dès lors que vous prenez la parole, l’erreur se lit dans le regard de votre interlocuteur et les réactions, bien que peu nombreuses, sont variées :
- Les plus sensibles se confondent en excuse. « Je suis vraiment désolé, mais avec les cheveux longs, de dos, en plissant les yeux, on dirait que… » Cette réaction est la plus fascinante parce que votre vis-à-vis s’imagine vous avoir profondément blessé. S’il savait…
- Il y a ceux qui noient le poisson. Ils continuent la discussion derrière un poker face implacable, en s’imaginant que vous n’avez rien entendu.
- Quant aux derniers (fatalement des hommes), ils changent de comportement : dès lors qu’ils se rendent compte que vous n’êtes pas une femme, ils vous tapent sur l’épaule, vous tutoient et compagnie, pour bien vous inclure dans le « crew des bonhommes ».
La « boulette » vient souvent (mais pas uniquement) de personnes plus âgées chez qui les stéréotypes de genre sont souvent plus marqués, mais aussi chez les enfants en bas âge qui ont encore bien du mal à comprendre le pouvoir de la force. Je ne résiste pas au plaisir de citer une anecdote de Michaelle, à ce propos :
« J’ai vécu il n’y a pas longtemps une expérience hilarante au pied de l’ascenseur. Une petite fille dans sa poussette qui me pointe du doigt en disant « monsieur ? » Sa mère lui répond :
– Non, madame.
– Madame ?
– Non, monsieur (dame confuse).
– Monsieur !
– Non, madame (dame complètement embrouillée).
– Madame !
– […] (elle abdique). »
Je peux l’affirmer sans hésitation et sans même sonder les lectrices : ce genre de petite erreur d’appréciation fait toujours plaisir aux travestis. Au début, quand j’en étais « victime », j’adorais, je jubilais, j’étais sur mon petit nuage. Aujourd’hui, je dois le dire : beaucoup moins. Dès lors que l’on m’appelle « madame », j’ai besoin de rectifier le tir. Vous connaissez mes positions quant au genre : je pense que l’on peut être un homme et s’habiller « n’importe comment »… Ou tout du moins, comme bon nous semble. Pour cela, il m’apparaît important de revendiquer ma masculinité, qu’importe l’apparence, mais c’est un autre débat.
Bonjour monsieur…
Si j’en crois l’expérience de nos plus estimables consœurs, les gens sont dans l’ensemble plutôt courtois et respectent le plus souvent votre identité de genre. Géraldine raconte :
« Depuis que je sors, je n’ai jamais eu droit au « monsieur » quelles que soient les circonstances et j’en suis très heureuse. Il me semble que je réagirais mal si tel était le cas et je répondrais sèchement comme l’a fait Béatrice. »
Mokoto confirme :
« En femme, je n’ai jamais eu de problème avec les gens, on m’a toujours appelé « madame ». Bien entendu, tout se joue dans le regard : on le voit tout de suite quand la personne sent que quelque chose cloche ou quand elle a un regard complice, mais je n’ai jamais rencontré de problème. »
Néanmoins, il arrive qu’un « monsieur » sorte. Je trouve stupide d’appeler un travesti « monsieur » dès lors que la personne se présente au féminin, j’en avais parlé il n’y a pas si longtemps. C’est assez grossier, surtout lorsque le travesti fait l’effort de sortir en robe et en talons, ce qui est souvent intimidant ! J’ai toujours l’impression (en partie fausse), qu’il s’agit d’une sorte de défiance, pour faire remarquer votre imposture, en quelque sorte, ou pour vous déshabiller de toute féminité. Rien de très agréable, pour tout dire.
Le plus souvent, cela est dû à la méconnaissance des problématiques transgenres. Dans ces cas-là, il n’y a pas forcément de raison de se braquer, il s’agit plutôt de corriger et d’expliquer s’il le faut. Béatrice d’Agora nous raconte son expérience récente :
« Nous déjeunions dans notre restaurant habituel à Rochefort (la « cantine » du club Hermione) où nous sommes connues et respectées. Un jeune serveur, tout nouveau, prend nos commandes :
« Alors ? Une salade pour monsieur… »
J’ai répliqué assez sèchement :
« Non, madame ! »
À la fin du repas, alors que nous passions au comptoir régler notre repas, il est venu me présenter ses excuses. »
Au contraire, Nina expliquait son indifférence lorsque retentit le mot « tabou » :
« Il n’y a pas longtemps, la serveuse d’un restaurant m’avait dit « voici votre plat, monsieur ». Le groupe de travestis qui m’accompagnait était outré, sauf moi. C’est vrai : je suis un travesti, pas une femme. Je n’essaye pas du tout de transformer ma voix, ni de me comporter comme une fille, alors qu’on me dise madame ou monsieur ça m’est bien égal. »
Bonjour, tout court !
Dans le doute, j’ai tendance à penser qu’il serait plus sage de ne pas décliner « madame » ou « monsieur » selon le genre, à moins d’être sûr et certain de l’accord à employer, sujet discutable que nous avons déjà évoqué par le passé. « Bonjour-bonjour » n’est pas la formule la plus malpolie du monde et au moins, on est certain de ne blesser personne !
En revanche, j’ai tendance à penser que l’on ne devrait pas mal vivre un accord malheureux. Au contraire, il faut le prendre avec philosophie, comme le suggère Loréne Von Buffalo :
« Au début, quand je sortais, ça m’arrivait de me faire appeler monsieur (voire d’autres mots pas très corrects). Ben… Ça pousse à progresser assez vite quand même. »
Bisous !
Dans un cadre un peu féministe, on pourrait ajouter que le bonjour Monsieur/Madame appris au plus jeune âge permet à notre société hétéro-patriarcale d’asseoir quelques bases dont il est très dur ensuite de se défaire …
Ma petite fille de cœur sait que je suis, je la cite, une « fille-garçon », malgré la maitresse qui lui explique que l’on ne peut être que fille ou garçon …
Autre complément par rapport à ce article, on ne peut oublier les difficultés des personnes transgenres qui souhaitent vivre à plein temps leur genre ressenti et qui sont confrontés à la problématique du monsieur/madame dans leur vie quotidienne, cela commence avec les papiers d’identités. Je raconte un grand classique ici, une situation parmi tant d’autres : http://www.killbill.fr/post/98214888674/x-woman-classic-lab
Oui tu as raison, un simple « bonjour » comme dans de très nombreux pays, est largement suffisant et respectueux. Mais nous sommes dans un pays *très* binaire.
Bonne journée.
« Ma petite fille de cœur sait que je suis, je la cite, une « fille-garçon », malgré la maitresse qui lui explique que l’on ne peut être que fille ou garçon … »
Le problème, c’est que pour commencer, beaucoup d’entre nous, transgenres, pensons qu’il n’existe pas de juste milieu ; qu’il est possible de changer de sexe ou de genre, mais qu’il n’existe pratiquement pas de zone de campement entre les deux. Je l’ai tellement souvent entendu que je pense que nous sommes les premiers à conforter cette forme de binarité : combien de fois ai-je entendu les un(e)s et les autres souhaiter détruire toute trace de féminité ou de virilité (selon le cas) de leur vie ?
Moi-même, et je suis loin de penser que le monde est aussi binaire, je n’arrive pas à me définir comme homme-femme ou mi-figue, mi-raisin. Je ne peux pas me considérer autrement que comme un homme ; malgré une vie où la féminité a toute sa place. Je pense qu’on a tellement besoin de se définir qu’on a quand-même beaucoup de mal à ne pas trancher. Cela mériterait d’être discuté plus profondément, mais au-delà de la France, l’être humain reste de toute façon très binaire… 🙂
Je reste assez sensible au madame dans mes relations avec autrui. Pas qu’en soit le monsieur me gène beaucoup. Mais j’y vois une preuve de réussite. Plus je passe spontanément pour une femme, mieux je me sens dans mes basket. L’échange qui suit étant alors plus conforme à mon ressenti. Car il faut bien le dire, à mon âge je suis aussi formatée que les autres..
J’ai remarqué que pour beaucoup de travestis, un « monsieur » sonne comme une « alerte passing ». Après, il ne faut pas le vivre comme une souffrance et faire la part des choses ; d’ailleurs, on a tendance à remarquer ce qu’on n’aime pas sans même prêter attention à ce qu’on préfère alors que parfois, on peut recevoir des dizaines de « bonjour madame » pour un petit « bonjour monsieur » perdu… 🙂
Quand je fais pas spécialement d’effort, ça ne me gène pas le « monsieur », ça fait 30 ans qu’on m’appelle ainsi…
Quand je suis en full fille, je n’ai pas eu d’indélicatesse du genre encore, donc je ne sais pas comment je réagirai, surement une pointe de vexation quand même.
Je suis très flattée quand on me dit Madame et contrariée si on me dit Monsieur mais je ne fais jamais de remarques car je pense que les gens ne le font pas exprès et sont souvent de bonne foi. S’ ils sont embarrassés et qu’ ils s’ excusent, je leur expliquent tout simplement mon cas et qu’il n’ y a pas de mal.
C’est vrais que cela peut etre embarassant pour le personne en face, une fois j’ai demandé ma route à une personne androgyne dont j’etais incapable de definir le sexe , c’est troublant, donc ni monsieur ni madame, bonjour , au revoir , merci
C’est ce qu’il y a de plus respectueux à faire, je pense. Encore une fois, chez certain(e)s, moi y compris, c’est une formule de politesse tellement ancrée (je ne compte pas les « merci qui » de mon enfance !) que c’est dur de faire sans, parfois.
C’est ça, je pense qu’on a besoin d’expliquer nos situations, parce que ce n’est pas très courant ! 🙂
J’ai pris l’habitude (mauvaise?) de me sentir bien avec le « madame » qui s’adresse à moi, chaque jour. Mais c’est peut être suite à un manque, une vieille frustration.
Les deux seules fois ou j’ai eu droit à un « monsieur », c’était au téléphone. Dans les deux cas pourtant, j’avais eu droit au « madame » en début de conversation, les deux fois, la conversation portait sur de la mécanique auto, dans des points de détail assez ardus. Et bien ces deux fois, j’ai eu droit à un « au revoir monsieur ». Pour tant mon orthophoniste est catégorique, dans ma voix il n’y a rien du masculin.
Si demain la société en général passe au bonjour tout court, je n’en ferai pas un drame, mais j’aurai ce petit regret de ne plus avoir ces petits signes de reconnaissance tout au long de la journée.
Comme si les femmes ne pouvaient pas être des spécialistes de la mécanique. On touche encore à un autre sujet sensible : au-delà de l’apparence, la connaissance. Un peu comme quand ce beauf de Lacombe explique qui ne femme ne peut pas s’y connaître en football, admettons…
Je suis au quotidien confrontée avec mon métier au regards curieux, étonnés, amusés.
Il est très rare que j’ai des remarques désobligeantes. La dernière fois que c’est arrivé, en tout cas que je l’ai entendu, c’était cet été. Je vous narre:
Cela se passe sur un circuit célèbre, Monthléry. Suite à une casse moteur sur une voiture de course, je suis en train de faire de la mécanique, je ne me souviens plus si j’ai ou pas enfilé une combi de mécanique, je crois que j’étais en jean-basket. Comme il est exclu que je me casse un ongle ou que je sois tachée de cambouis, je porte des gants, une paire de latex de chirurgie et par dessus une paire de gants spéciaux qui ressemblent à s’y méprendre à des mappa; Bien entendu dans ce genre de manifestation, une foule de forme autour de moi et la voiture. J’ai eu droit à pas mal de compliments sur ma belle auto, mon pilotage, le fait que je sois une nana qui pilote et fait de la mécanique. Et un moment, un type dit assez fort à son voisin qu’avec mes mappa, je ferais mieux de retourner à ma vaisselle…
C’est une bonne méthode pour mesurer le nombre de cons au m2 dans une foule.
Au final, au lieu d’être un mec parmi les autres, banal pilote-mécanicien, je suis du coup celle que tout le monde suit et regarde. C’est parfois même gênant, sauf cette fois ou il y avait une queue infinie pour les toilettes des dames (un autre circuit que Monthléry), certaines me reconnaissant disent: « c’est la pilote, laissez la passer »… Il faut être assez à l’aise avec son image dans ces moments là!
N’empêche, pour revenir au sujet premier, les madame par ci madame par là, je ne m’en lasse pas.
Dans mon cas j’ai le plus souvent droit a des « Madame » et il peut s’écouler des mois comme ça. Eh puis une fois, PAF! un « Monsieur » ou un regard désagréable . Au début je prenais trés mal la chose parce que j’étais surprise. Finalement je relativise et je ne réagis plus aussi mal. (je parle des dernieres années parce qu’a mes débuts ce n’était pas comme ça.)
Il faut dire aussi que bien souvent les personnes ne disent plus ni Monsieur ni Madame et quand on est transgenre il n’est pas facile de déterminer si c’est leur habitude ou, si ne sachant pas trop quoi dire, ils évitent de « préciser »
[…] la virilité ; tous les travestis vous le diront, passés quelques centimètres, les « bonjour, madame » fleurissent comme l’amour au printemps. Pas étonnant que parmi les basiques […]
Bonjour, je voudrais utiliser une image de votre album pour promouvoir un projet de création d’un espace vert convivial en Afrique du Nord