Le 31 janvier dernier, Arte diffusait Christian und Christiane, un documentaire de 62 minutes dont vous avez sans doute ouï le plus grand bien. Pour les retardataires, vous pouvez le retrouver sur YouTube (merci Chrystelle 71). Il s’agit d’une expérience pour le moins inédite où Christian Seidel passe deux années dans la peau de Christiane, son « alter ego » féminin. Les lectrices de XXY.fr pourraient se reconnaître dans de nombreux aspects de ce portrait atypique ; restent néanmoins de trop nombreuses zones d’ombre qui nuancent radicalement le propos…
Christian Who?
Absolument inconnu du public français, Christian Seidel possède un curriculum vitæ pour le moins chargé : producteur de films, écrivain, réalisateur d’émissions télévisées ou responsable marketing pour le compte de George Lucas sont quelques lignes de choix issues de sa longue carrière. Autant vous dire que si le nom de « Seidel » n’évoque rien au creux de votre oreille, il est en Allemagne connu comme le loup blanc, que dis-je, der weiße wolf ! Je tiens à souligner son influence médiatique puisque trop nombreux sont les travestis se cachant derrière leurs statuts professionnels pour justifier un manque d’assurance : « dans mon métier, je ne peux vraiment pas ». Et pourtant, Christian Seidel qui a propulsé Heidi Klum ou Claudia Schiffer a fini par se réaliser aux yeux de tous et il en a même écrit un livre. Un bel exemple de courage, si vous voulez mon avis.
À la recherche du moi perdu
Tout est parti d’un malaise que l’on a peut-être tous expérimenté à un moment de notre vie de travesti : la sensation de jouer un rôle. Pour répondre à l’image de l’homme tel qu’il est représenté en société, Christian a toujours rejeté sa féminité. Pour mieux se comprendre, il s’est lancé dans cette aventure troublante : vivre comme une femme sans pour autant se définir comme transgenre, tout en chroniquant ses péripéties au sein d’un livre qui n’est (pour l’instant) pas paru dans l’Hexagone : Die frau in mir (La femme en moi). S’il ne répond pas à toutes ses interrogations intérieures – ce serait trop simple ! – cette entreprise l’emmènera en pleine théorie du genre mais aussi dans des peines beaucoup plus intimes qui touchent directement le couple.
La virilité et la féminité comme constructions sociales
Christian ne savait peut-être pas où l’amènerait la rédaction de cet ouvrage ou l’enregistrement de ce reportage. Malgré tout, cela se sent rapidement dans la construction de Christian & Christiane, son travail est plus orienté vers l’image sociale des genres que vers une éventuelle femme en son sein. Très rapidement, il évoque le culte de la virilité et sans vouloir vous gâcher le plaisir de visualiser le documentaire, il se rend en Christiane dans des lieux de « haute testostérone » comme une arène de free fight. Une société où l’homme est aussi rock-solid explique peut-être en partie la phobie qu’ont les hommes à « manipuler » et à porter, surtout, des objets féminins. Il prend l’exemple, notamment, de l’achat d’une paire de collants qui lui donne quelques sueurs froides au moment de passer en caisse. C’est pourtant un achat bénin, dans le fond, mais qui égratigne particulièrement la toute virilité de tout un chacun.
À ce propos, j’ai beaucoup aimé le témoignage de Julie qui nous racontait, sur le forum, l’achat d’un soutien-gorge sans peur et sans reproche.
De la faiblesse des données
Là où le « bas » blesse, si je puis dire, c’est qu’en vidéo, l’expérience n’est pas bien définie. En fait, on nous explique vaguement les tenants et les aboutissants du projet mais sans réelle précision : où commence et où s’arrête la vie de Christiane ? Deux ans, ça veut à la fois tout et rien dire. Est-ce que ce sont deux années « full time » en femme ou est-ce que ce sont des moments ponctuels ? Est-ce que c’est toute la journée ou les soirs après le travail ? Christian, si je puis dire, n’existait-il plus pendant ces deux années ? Car mine de rien, cela affecte beaucoup l’expérience !
De l’andropause à l’intox
L’autre sujet de discorde n’est autre que la participation de pseudo-spécialistes expliquant, à qui veut l’entendre, que Christiane est la cause d’une chute de testostérone « spectaculaire » chez Christian. Excusez-moi de remettre en cause la science mais… Techniquement, j’ai du mal à voir comment le fait de porter une perruque peut produire un déficit hormonal ou pire, faire saigner du nez le travesti dans son bain. Je n’invente rien. Qu’on le veuille ou non, la Terre entière a vu son niveau de testostérone baisser en comparaison aux précédentes générations, sans compter que Christian est parfaitement en âge de subir l’andropause. La fiabilité de l’analyse de l’endocrinologue me semble furieusement suspecte.
Super Dress Me
C’est en fin de compte « la chute » de l’histoire, avec Christian qui arrête tout avant que sa santé n’aille à vau-l’eau. Cela laisse un goût amer à un documentaire qui tente de briser de nombreux clichés. J’ai vraiment eu la sensation d’une fin spectaculaire, la recherche de sensationnalisme pour mettre un terme à une narration qui n’en a finalement pas. À l’image de Super Size Me où le moindre Big Mac supplémentaire serait un désastre intestinal, Christian & Christiane s’achève sur le coup de pinceau en trop qui fait saigner dans le bain. Et comme le hasard fait bien les choses, il y avait « forcément » quelqu’un pour filmer cette scène au moment où elle se déroule, comme si tous les bains de Christian étaient mis en scène pour la caméra.
Mouais.
Ne souffrez plus, vivez !
J’aimerais revenir sur la souffrance qui parsème le récit de Christian & Christiane. Bien évidemment, il existe des problèmes de couple avec Svetlana, son épouse, et c’est tout à fait légitime. Elle ne veut par ailleurs par passer à la caméra et c’est son choix. Ceci dit, il faut admettre que le travestissement au sein d’un couple apporte beaucoup plus que des souffrances. Ne serait-ce que mieux se connaître, c’est trop précieux pour ne pas le dire !
Mais en guise de conclusion, j’aimerais évoquer l’introduction justement où Christian, nageant gaiement au large des plages italiennes, se fait aspirer par Christiane, au fond des océans. Je vois bien le parallèle qui est créé avec le mythe des sirènes mais c’est assez mal mené. Le travestissement est un épanouissement et je suis persuadé qu’en faisant les efforts, ce n’est pas votre avatar féminin qui vous fera sombrer au fond de la mer. C’est à vous de pousser votre côté « XX » à sortir, à éclore et à l’emmener jusqu’à des hauteurs impensables. Vous maîtrisez votre destin, ne l’oubliez jamais !
J’avais oublié le coup du nez qui saigne 😀
Parce qu’on s’enregistre tous dans le bain en train de faire des bulles.
C’est décidé, je vais le regarder ce documentaire… Depuis le temps que j’en entends parler.
Et qu’est-ce que c’est tentant de faire pareil… bon sang…
N’hésite pas à donner ton avis, alors. Je suis certain que tu vas te reconnaître dans ce personnage par plein d’aspects.
Ce documentaire a été réalisé à des fins commercial, pour être diffuser à la tv allemande, puis faire un livre, à partir de là, toutes les manipulations sont possibles. Il est suivi continuellement par une caméra, la spontanéité des personnes qui l’entourent ne peut donc qu’en être altérée.
Je ne crois pas non plus que la baisse mondiale de la testostérone est lié au travestissement, celle ci est plutôt lié aux résidus des emballages plastiques de l’alimentation actuelle qui touche les Tv et les autres, lol.
Je pense avant tout qu’il s’agissait pour lui d’une expérience intéressante à tenter, mais de là à être femme en full time pendant ces deux ans, il aurait dans ce cas essayer d’améliorer un peu son passing qui, pour faire ma chipie, n’était pas trés bon. 😉
Et justement, expliquer que le travestissement fait dangereusement baisser la testo sans détailler, il n’y a rien de tel pour donner du grain à moudre aux rageux concernant le théorie du jendeure et compagnie…
Voilà un reportage que je prendrai beaucoup de plaisir à ne pas regarder ! Merci pour l’analyse.
Je t’en prie. Mais tu rates la scène culte du nez qui coule. On croirait Nina dans son bain 🙂
Je ne regrette pas d’ avoir regardé ce film même si je pense qu’ il n’ apporte pas grand chose au débat. Je pense même que ça dessert notre cause par certains aspects.
Aux quels aspects penses-tu, plus précisément 😉 ?
Je vais me répéter comme a mon habitude mais . . très bel article dans sa rédaction et allant a l’essentiel
Pour ma part, et sans même avoir visionné cela, le coup de la chute de testostérone …. Je n’y crois pas
je sais que je suis bien un mec biologiquement et psychologiquement (perso) me suis toujours ressentie femme ou du moins ne me suis jamais ressentie mec, indéfinie en fait et ce …. Testostérone ou pas …
Il ne faut pas tout mettre dans le même sac …. 😉
Et l’andropause pour moi, n’a rien à voir je pense
Je pense aussi que les individus évoluent plus vite que les moeurs, mauvaises ou bonnes, et les règles de notre tendre …. société
Nous sommes peut être bien des précurseurs
Merci pour les gentils mots 🙂 !
Quant à être des précurseurs, je ne sais pas… Pour moi, les vraies précurseurs sont les femmes qui ont largement adopté le pantalon, les coupes courtes et tout ça dans les années 60 et même avant !
Tant que ce n’est que le nez …