Beaucoup d’entre nous, transgenres, sommes familiers avec le concept de damage control, le plus souvent à notre insu. Je ne parle pas de l’entreprise fictionnelle de Marvel mais de la capacité à minimiser les dégâts en situation de crise, comme un outing incontrôlé, disons. Ces situations sont rarement les plus agréables, je le reconnais. Voilà pourquoi le réflexe est d’éteindre les braises chaudes et d’éviter un feu de paille, instinctivement. Pour autant, les plus opportunistes vous le diront : le salut transgenre se trouve précisément au cœur de la crise. Où il y a du danger, il y a aussi du changement.
危機 (wēijī)
Loin de moi l’idée de vous inonder avec un optimisme abondant mais naïf, cependant « crise » ne rime pas toujours avec « mouise ». En médecine, elle peut tout aussi bien être funeste qu’heureuse, tout comme les plus doués savent bourlinguer contre les vagues d’une crise économique pour faire fortune. On peut être pris d’une crise de larmes mais aussi de rire, pourquoi pas. Vous voyez, la crise ne comporte pas toujours la charge négative qu’on lui prête volontiers, dans la langue française tout du moins.
En chinois, le mot « crise » est composé de deux idéogrammes : 危機. « Wei » et « Ji » signifient respectivement « danger » et « opportunité », sous-entendant que derrière une situation périlleuse se cache un point de basculement, un moment décisif. En d’autres termes, la crise implique un changement positif, encore faut-il savoir se saisir des opportunités qui apparaissent sous notre nez.
Crise transidentitaire
À l’heure où l’on n’a jamais autant parlé de « crise identitaire » en France, permettez-moi un néologisme douteux mais néanmoins tout à fait pertinent avec ce que j’aimerais appeler la « crise transidentitaire ». Qui, parmi nous transgenres, n’a jamais été pris(e) de questionnements concernant son sexe, son genre ou son identité ? Cela prend des formes incroyablement variées et se manifeste, parfois, par un enthousiasme soudain pour les effets du sexe opposé, parfois encore par une période de trouble profond. Il y en a d’autres pour qui, brusquement, la rupture d’équilibre est entamée jusqu’à un changement de sexe.
Mais au-delà des larmes, au-delà des questionnements, des nuits d’insomnie et des angoisses, la crise apporte aussi des perspectives de changement. Après tout, phonétiquement, « chrysalide » commence bien par « crise », pourquoi ne pas y voir un signe ? Si la pensée d’une dispute vous paralyse, si l’idée d’un coming out vous tétanise, si la peur du changement vous tyrannise, n’oubliez jamais les perspectives de bonheur, de bien-être et d’épanouissement, surtout, qui s’ouvrent à vous.
En quête de danger
La transidentité sous-entend la notion de « transition » ; pas d’un point de vue hormonal, entendons-nous, mais tout à fait identitaire. Pour que ce mouvement s’accélère et pour que la transformation opère, le passage par la « crise » n’est pas facultatif. Se protéger du danger est humain, qui ne le comprendrait pas ? Seulement, à ne prendre aucun risque, vous risquez la paralysie et l’asphyxie, qui sait. Pour vous trouver, pour être vous-même, n’ayez jamais peur de la crise : s’il y a du danger, il y a surtout du changement. S’il y a de l’ombre, il y a forcément de la lumière.
« A vaincre sans péril on triomphe sans gloire » parait-il.
Oui, se lancer sur la voie de la transition n’est et ne sera jamais quelque-chose de facile, ni de simple.
Nous ouvrons cette boite de Pandore contenant une vérité sur nous-même qui n’est pas simple à ni pour nous, ni pour nos proches et pourtant, comment cacher cette vérité qui nous libère enfin ?
Et de relire « King-Kong Théorie » de Virginie Despentes en se demandant si nous allons rester au chaud dans notre salon ou sortir librement dehors en risquant de croiser le loup. Nous sommes redevables à toute celles qui nous ont ouvert la voie et baliser notre chemin, de nous y engager à notre tour et de nous assurer que pour les prochaines ce sera plus simple encore.
Oui, s’habiller différemment est dangereux, Oui prendre un traitement hormonale est dangereux, Oui subir une opération de réassignation sexuelle est dangereux, mais au final ne serait-il pas encore plus dangereux de ne rien faire? de laisser sournoisement nous ronger ce trouble jusqu’au point de rupture?
Je n’ai pas pris ce chemin périlleux par choix mais par nécessité, celle qui me fait respirer, battre mon petit coeur, ouvrir les yeux et finalement sourire à la vie.
L’image du salon est on ne peut plus parlante, surtout chez nous, transgenres… 😉
En premier lieu, la crise se passe d’ abord dans notre cerveau. Qu’ est ce qui nous amène à suivre ou à ne pas suivre la voie de la transition. Ensuite la crise peut intervenir lors de la révélation à la famille, aux proches ou aux collègues, qu’elle soit forcée ou pas. Personnellement, cela ne m’est jamais arrivé. Tout s’ est toujours passé en douceur et je ne me suis jamais sentie en danger lors de ces phases particulières et importantes.
Oui, on a peur du changement mais il ne s’accompagne pas systématiquement de danger non plus. Tu fais bien de le rappeler 🙂