Vendre des chaussures n’est que rarement une vocation. Les travestis de tout poil ne peuvent pas le comprendre, mais prenez l’exemple d’Al Bundy : il n’aime ni sa femme, ni ses enfants, mais par-dessus tout, il déteste son job. Charlie Price n’a pas non plus d’affinité avec le marché des souliers. Il est pourtant l’héritier de l’honorable manufacture de chaussures de son père, alors même que l’entreprise traverse une crise sans précédent.
À cause du funeste destin de son père, Charlie se retrouve propulsé à la tête de la Price Shoes Cie. Alors qu’il espérait faire carrière à Londres dans le marketing, il est de retour à Northampton pour tenter de sauver une usine qui ne marche plus et la centaine d’emplois qui vont avec. Par le plus grand des hasards, Charlie fait la rencontre de Lola, une drag queen de la capitale, et découvre un marché plus que porteur : il abandonne alors les estimables derbies de la maison Price pour se lancer dans la confection de cuissardes rouges pour travestis.
“A drag queen puts on a frock, looks like Kylie.”
Ouvrez un quotidien de 1984 : on y parle sans doute de crise, de chômage, d’Europe et de football. Trente ans plus tard, rien n’a changé. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que Kinky Boots date de 2005, bien avant la crise des subprimes et la « théorie du genre ». C’est incroyable comme les problématiques semblent d’actualité. Sans compter que la vision du travestissement telle qu’elle y est exposée est très « moderne », si je puis dire, si ce ne sont les tenues BCBG de Lola qui fleurent bon l’an 2000.
Lola est une drag queen extravagante (et extravertie !) qui a pour maître mot « sexy ». Son maquillage, la hauteur de ses talons, le vernis de ses cuissardes ou la relative longueur de ses jupes sont pour le moins provocateurs. Sa démarche elle-même et ses chansons nous transportent dans un univers érotique à la limite du fétichisme. Il n’y transparaît pourtant aucune vulgarité, simplement une sensation de liberté absolue et de relâchement des mœurs, telle qu’on pourrait les ressentir face à l’illustre Frank-N-Furter.
Cela dit, Lola n’est pas qu’une pin-up que l’on déshabille des yeux, elle est aussi une artiste. Comme de nombreux travestis du cinéma, tels Chouchou ou Letal, elle exprime sa toute féminité pendant son show qui occupe un rôle considérable au cœur de la diégèse. Son spectacle est l’endroit et le moment pour se transformer et être soi-même : l’art cultive en effet l’ambiguïté, alors que la société non.
“A transvestite puts on a frock, looks like… Boris Yeltsin in lipstick.”
Pour venir en aide à Charlie, Lola fait le déplacement jusqu’à Northampton, dans la province anglaise. Dans la capitale, Lola s’épanouit pleinement et se nourrit de l’amour de ses fans pour vivre de ce qu’elle aime le plus. Dans les Middlands, néanmoins, elle découvre un monde plus ouvrier et tristement moins ouvert d’esprit que dans la City. Lola est contrainte de réapparaître sous les traits de Simon puisque Charlie lui-même n’assume pas et n’accepte pas son mode de vie.
La perception du travestissement est à ce titre assez déprimante. Lola est difficilement considérée comme un « vrai » homme, à commencer par son père qui la renie rapidement, parce qu’il aurait souhaité qu’elle devienne un boxeur de première classe. Dans l’usine de Price Shoes Cie, Don, l’un des employés pour le moins viril, ne tolère pas que Simon apparaisse sous les habits de Lola, lui reprochant même de ne pas être un homme.
Ce refoulement est amené à s’amoindrir puisqu’au long du film, le travesti qui sommeille au fond de Lola sera de mieux en mieux accepté, par les ouvrières tout d’abord puis par les travailleurs, franchement troublés et touchés dans leur virilité. En fin de compte, le travestissement finit même par rayonner : il est non seulement un marché porteur, mais il est aussi présenté comme une clé de la réussite sociale, une réponse progressiste à une société au bord de la faillite.
“I have a terrible habit of doing the opposite of what people want.”
Les films qui tournent autour du genre nous invitent souvent, en filigrane, à être nous-même. Dans Kinky Boots, c’est littéralement la problématique, le cœur de l’intrigue, le thème débattu. D’un côté, Charlie n’arrive pas à vivre de ses passions, il n’est directeur de Price Shoes Cie que parce que son défunt père le souhaitait. Il subit et s’incline aux us et coutumes d’une société conservatrice et à la volonté de sa lignée.
Lola, par contre, n’aspire qu’à être elle-même en choisissant le travestissement comme mode de vie, elle fait preuve d’une défiance manifeste à l’égard de son père. C’est flagrant en analysant les jeux de regard : Charlie est hésitant, chancelant et douteux. Lola, en revanche, est déterminée, souriante et pleine de confiance. Pourtant, l’un et l’autre ont un parcours et des expériences similaires : ils sont sous la pression d’une volonté paternelle forte et contraire à leurs aspirations. Charlie représente le ying, le choix de la facilité mais de la résignation ; Lola est plutôt le yang en affrontant les problèmes et en se battant pour défendre ce qu’elle est.
Le message que nous envoie Kinky Boots est assez explicite : n’attendez pas que la société vous accepte pour être vous-même. Cela n’arrivera pas ! Au contraire, soyez vous-même pour que la société vous accepte. C’est un combat perpétuel et cela demande un dévouement continu, mais si vous êtes convaincu que vos choix sont les bons, même les milieux les plus conservateurs finiront par se lézarder.
Vous le savez peut-être : le film de 2005, réalisé par Julian Jarrold, a été adapté en comédie musicale en 2013 par Cindy Laupers et Harvey Fierstein. Il se tient dans la prestigieuse salle de spectacle de Broadway, nous avions déjà évoqué sa campagne Just Be il y a plusieurs semaines de cela. Qui sait, peut-être que le spectacle finira par s’exporter à Bercy. Quand on voit l’énergie dégagée par les bandes-annonces, on serait presque tenté de décoller pour les États-Unis sur un coup de tête !
C’est malin.
Maintenant j’ai envie de voir ce film…
😛
Franchement, je suis certain que ça va te plaire, ne serait-ce que par les shoes fabriquées ^_^
J’ai fini par le regarder.
J’ai adoré !!
Ainsi que Hedwick and the angry inch.
2 excellents films.
J’étais certain que ça te plairait. C’était logique 🙂
Ça à l’air très sympa… le concept me fait un peu penser à The Full Monty, d’autres ont d’ailleurs fait le rapprochement. Mais, rien que pour le thème, ça le fait 😉
J’avoue. M’enfin, les costumes sont plus habillés que dans Full Monty ^_^
être soi même, c’ est facile quand on est jeune, jolie et si féminine que Lola au cinéma…
Dans la réalité, c ‘est tout autre…
En réalité, Lola n’est pas si féminine qu’on le pense !
Ouais, il manque THE duckface … 😉
Cela rejoint le message de Conchita Wurst qui porte une barbe pour bien montrer qu’elle est un homme qui s’habille en femme et donc respecter moi pour ce que je suis.
Enfin, Lola n’est pas du tout le même type de personnage et elle ne revendique aucune appartenance au sexe masculin, en fait.
« il est non seulement un marché porteur, mais il est aussi présenté comme une clé de la réussite sociale, une réponse progressiste à une société au bord de la faillite »
exactement ce que je pense
(Pourvu que ce soit vrai pour ma boutique ^_^ !)