« On ne devient pas travesti. On se découvre ! » De nombreuses consœurs l’affirment. En ce qui me concerne, j’ai beau répéter à qui veut l’entendre que mes premiers pas en ballerines datent d’il y a trois ans, plonger dans mes souvenirs me permet de voir à quel point mon sort était scellé. Aussi loin que je me souvienne, l’ambiguïté des genres a toujours fait partie de mon épanouissement et le travesti que je suis a envie de l’écrire : tout était couru d’avance !
J’aimerais partager avec vous ces souvenirs dans une première partie consacrée à la petite enfance. De l’admiration de ma mère aux catalogues de jouets, mon parcours de travesti prend racine il y a de cela fort, fort longtemps… Au siècle dernier, c’est dire.
Jeune Maman Modèle
Nombre d’entre nous témoigne dans ce sens : la mère exerce une admiration voire une fascination auprès de son enfant qui la prend comme modèle. En ce qui me concerne, cela n’a pas raté, d’autant plus que le contexte et le climat familial s’y prêtaient. En l’occurrence, mon père – gardien de la paix avant tout (gendarme, quoi !) – était souvent absent du domicile et, très vite, il s’est créé une forme de barrière invisible entre lui et nous (c’est-à-dire mon frère et moi). Il représentait l’autorité virile là où nous étions le bas-peuple, pour schématiser. Il l’a d’ailleurs souvent fait savoir : il était « le chef de la famille ». Cela peut paraître chevaleresque mais c’était sa vision, bien archaïque disons-le, des relations familiales.
Toujours est-il que cette barrière, par contre, ne s’est jamais matérialisée entre ma mère et nous, une mère présente, aimante et très proche de ses enfants au cours de leurs jeunes printemps ; hélas, ça changera ensuite. Quand j’étais tout petit, ma mère ne travaillait pas et nous passions un temps fou auprès d’elle. D’ailleurs, même quand elle a commencé à travailler, nous passions infiniment plus de temps avec elle qu’avec mon paternel ; à ce propos, je n’ai pas vraiment souvenir d’avoir vadrouillé avec lui seul étant gamin.
Peu importe. La figure maternelle était donc très présente dans nos vies tandis que mon père faisait office d’autorité totalement arbitraire et inaccessible au commun des mortels. Une sorte de Bhunivelze des temps anciens, si je puis dire. « Mais pourquoi nous raconte-t-il tout cela » s’interroge-t-on dans le fond de la salle ? Tout simplement parce que ma mère a longtemps été ma seule source d’inspiration en tant qu’enfant. Beaucoup de jeunes pousses reproduisent les gestes de leurs parents et j’ai fatalement reproduit ceux de ma mère. J’ai souvenir de l’avoir souvent imitée en portant son sac à main, par exemple, qui paraissait alors fichtrement plus lourd que ce qu’il n’était réellement ou en enfilant ses chaussures : la belle époque de la pointure 16 ou 17.
Qu’est-ce que le genre ? Je vous le demande !
Quand j’y repense, je n’avais pas beaucoup de contact avec les autres enfants, quand j’étais un petit minot. Du coup, je n’avais pas forcément beaucoup d’autres points de comparaison que ma mère et mon frangin, encore une crevette à cette époque. De ce fait, toutes les activités et les tenues de ma mère, que l’on pourrait décrire comme « féminines », ne me paraissaient absolument pas associées à son genre mais au monde adulte. Par exemple, si ma mère portait un rouge à lèvres, ça me paraissait être l’évolution logique de l’être humain adulte puisque, pour tout vous dire, les petites filles de mon âge n’en portaient pas plus que moi. Encore heureux.
Grosso modo, je n’étais vraiment pas doué pour dissocier les genres masculin et féminin et puisqu’aucun enfant ne portait d’escarpins, par exemple, il me paraissait logique que ce n’était pas une chaussure d’enfant – rien à voir avec le genre – et qu’on en porterait toutes et tous une fois l’âge adulte arrivé. Bon, je vous rassure, j’avais des livres d’images et des abécédaires, mais il n’empêche que j’ai longtemps ignoré la barrière des genres, consciemment ou pas, sans que ma mère ne prenne la peine de m’expliquer quelle était la limite. C’est peut-être là un des points dont elle puisse être le plus fier dans l’éducation de ses enfants, j’en suis convaincu, puisque cela s’est répercuté aussi sur nos activités. Ma mère nous a bien appris à ranger notre chambre, faire le ménage ou plier le linge, par exemple, d’ingrates tâches tristement attitrées aux femmes chez les personnes les plus sexistes.
Ce qui est sûr, c’est que jamais je ne me suis senti femme au cours de ma petite enfance et plus globalement de mon enfance. Je ne vous cache pas que la question s’est posée au cours de mon adolescence, en grandissant un peu, mais jusqu’à ce que je prenne conscience de ce qu’était le genre et de ce que cela signifiait comme contrainte dans la vie en société, cela ne m’embêtait pas plus que ça. Jusqu’à découvrir l’école, les autres enfants, les filles et garçons… Et tout un tas de choses dont nous parlerons dans la prochaine chronique.
Jouets et découverte
Étant un enfant solitaire – et ça n’a pas changé avec les années – j’ai passé des heures et des heures à jouer. Et comme j’étais pourri-gâté, j’avais des tonnes de jouets. Et pourtant, j’ai toujours été en quête de jouets plus « féminins » que mes figurines de Batman ou mes Action Man. Par exemple, j’ai eu à choisir une figurine du dessin animé Aladdin et devinez qui j’ai choisi ? Jasmine ! J’ai ensuite eu des figurines dérivées du film Alien et, là encore, j’ai choisi Ellen Ripley (et la Reine des Aliens, ces figurines étaient superbes). Et devinez quel était mon personnage préféré du village des Schtroumpfs ? La Schtroumpfette, bien évidemment ! Une phrase m’est d’ailleurs longtemps restée en mémoire, c’est ma mère expliquant à ma tante que je « choisissais toujours des jouets pour filles ».
Mais en y repensant, je n’aimais pas spécialement les jouets pour filles, comme on dit, mais tout simplement des jouets qui me plaisaient indépendamment du genre associé. Promener une poupée ne m’amusait pas forcément plus de cinq minutes, pas plus que jouer au pistolet, d’ailleurs. Je pourrais dire la même chose des dessins animés puisque je regardais avec autant de passion le Batman de France 3 et Juliette, je t’aime ! Par exemple, j’étais littéralement fasciné par les toutes petites figurines : autant vous dire que la découverte des Mighty Max fut un choc… Mais que dire des Polly Pocket qui m’ont fait baver tant et tant d’années !
Comme personne ne m’en offrait – pas plus que de poupée Barbie, tu me diras – j’avais trouvé un palliatif absolument génial : ma voisine de palier. Je ne la supportais franchement pas mais elle avait des tonnes et des tonnes de jouets vraiment coolos. Ce qui était super sympa, c’est qu’on mixait absolument tous nos jouets et les jouets pour filles et pour garçon cohabitaient finalement plutôt bien. Le plus surprenant, dans l’histoire, c’est qu’elle avait une attirance pour les jouets de garçons, qu’elle ne possédait pas, et que ça arrangeait tout le monde de procéder à ces petits échanges. Mais au-delà du truc de figurines articulées, l’un de mes premières expériences de travestissement vient peut-être d’un échange de costumes et j’adorais lui emprunter son déguisement de princesse. C’était très ludique, ça ne faisait de mal à personne et à cette époque, je trouvais cela tout à fait « normal ». Et elle aussi.
Autant vous dire que le genre n’avait absolument aucune signification pour moi, ni dans les vêtements, ni dans les jeux… Et c’était franchement la belle époque. Je n’étais ni travesti, ni transgenre mais juste-moi. Comme toutes les bonnes choses ont une fin, je vous raconterai la prochaine fois comment cela a drastiquement changé dès lors que j’ai mis un orteil à l’école.
Bisous !
Bel album photo de ton enfance et une réflexion intéressante sur le rapport entre ton enfance avec ta maman et le travestissement.
Moi, j’ ai toujours pensé que le fait que ma mère, qui voulait une fille après mon frère ainé, m’ est inconsciemment transmis des gènes féminins au cours de sa grossesse…
Je l’ai souvent entendu aussi de mes parents : ils voulaient une fille après mon frangin. Est-ce que ça a une influence sur l’évolution ? Je me le demande franchement…
Article émouvant où nombre d’entre nous se retrouvent, on dirait… Allez, j’y vais de mon petit témoignage, si ça peut en aider quelques-unes.
J’ai une soeur qui est morte-née dix ans avant ma naissance, je ne sais pas si ça peut jouer sur le fait que ma féminité a commencé à « me travailler » à l’adolescence. Il paraît que cette soeur apparaissait sur mes dessins d’enfant avant même qu’on m’en aie parlé. C’est très tôt que j’ai commencé à passer les sous-vêtements de ma mère, vers neuf ans. Mes jeux étaient cependant masculins, pas de poupées, pas de dînette. J’ai grandi dans un contexte qui semble typique, père absent, mère enveloppante à laquelle cependant je ne me souviens pas m’être identifiée. Présence d’un frère mais élevée comme un fils unique. Relative solitude. Tendance à la vie intérieure. Ambiance familiale coincée, repliée sur elle-même, pas de vie sociale, sexualité conçue comme quelque chose de « sale ». Parents angoissés.
Je crois que je me réfugiais dans la féminité comme dans quelque chose qui me semblait rassurant.
C’est bien plus tard que j’ai assumé ma féminité au travers d’un travestissement qui m’a posé, et continue de me poser les problèmes que vous concevez, dans la mesure où je suis hétérosexuelle. Je suis d’une génération moins libérée que la vôtre sur ce plan-là. Je fais partie de ces « extérieur-homme, intérieur-femme », la couche visible étant masculine, la lingerie et les bas, les collants façonnant comme l’écrin d’un corps où la féminité est vécue au travers de l’épilation et de la présence naturelle de seins. Intérieurement, c’est par une sensibilité exacerbée, une créativité et un sens de l’écoute que se manifeste ma féminité, une tendance à materner le garçon manqué qui est ma compagne. C’est une existence excessivement compliquée.
Pour la « relative solitude », je dois bien avouer que c’était aussi mon cas. C’était complètement voulu : je préférais largement éviter de sortir avec les copains pour… passer la journée sur la console.
J’ai bien aimé ce premier épisode de ton enfance qui donne des pistes intéressantes pour sa propre introspection.
Je me retrouve d’ailleurs dans le rapport maternel et le manque de figure paternel à la maison. Là où mon parcourt diverge, c’est sur la présence de mes deux soeurs. Je devais me différencier et à mon âge faire le vrai garçon, au point de trop marquer le trait. 🙂
Allez, vivement le deuxième épisode. 😉
T’as un sacré épisode de kermesse à nous raconter, d’ailleurs… 😉
Chouette article en effet.
Du coup, j’introspecte… Mais finalement, à part le fait que j’adorais les Lego et rêvais devant les poupées Barbie, j’ai peu de souvenirs. En tout cas, rien de traumatisant (quoique… quand on voit le résultat, on peut se poser des questions… 😉 )
Je suis ravi que l’article pousse à l’introspection car c’était complètement le but 🙂 !
ho superbe article, wahou ça ma fait quelque chose de lire ces lignes, j’ai méme revu mon enfance au travers de ton reçit,bon oui je précise absence aussi pour moi d’une présence paternel, moi tout naturellement je me foutais de cette frontieres entre jouets garçon ou fille, j’ai eu une dinette, une caisse enregistreuse une marchande ect bref oui je préféré les jouet pour « fille » et personnes ne m’en enpéché donc pour moi c’était normal, ensuite oui activitée de fille en préférence j’ai fait équitation je joué toujours avec les fille je regardais Jeanne et Serge puis Candi ou Ranma ½ a qui j’enviais ce foutu pouvoir de transfo!!! donc en résumé une enfance a « cheval » 🙂 sur les 2 genres avec un bon penchant féminin corrigé involontairement par l’éthique sociale qui nous entoure.
Puis plus tard il y a eu l’adolescence mais là c’est un autre sujet.
Ps: J’étais fan de la Stroumpfette !!!!!!!!!!!
Pis bon, ça ne devait pas être facile tous les jours pour la Schtroumpfette. La seule femme de tout ce village de Schtroumpfs à pouvoir enfanter.
Très bel article. Émouvant. Et les photos encore davantage.
Comme d’autres je me reconnais dans beaucoup d’aspects (enfance longtemps seul puis entre garçons, père « old school », le plaisir de découvrir des jouets de fille lorsque nous allions chez une cousine…), un peu moins dans d’autres.
Pour ma part je n’ai jamais ressenti la moindre ambiguïté sur ma condition de garçon. Et ce même si je dois avouer que j’avais un petit coté « délicat » et que mon physique faisait que l’on me prenait souvent pour une fille.
Néanmoins ce qui est sûr c’est qu’il y a des chances pour que je me replonge dans mon enfance à la recherche de ces petits détails qui semblaient insignifiants à l’époque et que je vais désormais regarder sous un jour très différent.
Vivement la seconde partie! 😉
ps: J’adorais Juliette je t’aime!
Hé, hé. Si tu fouilles dans les photos, tu vas te dire : c’était écrit 😀 ! D’ailleurs, j’ai trouvé pas mal de trucs sympas, comme mon frangin déguisé en reine des fleurs et tout 😀 !
Un prénom dual (Dominique), des cheveux gardés longs et bouclés suffisamment longtemps pour que je sache répondre moi-même aux amis de mes parents qui me prenaient pour une fille que « non, j’étais bien un petit garçon ! », je pense que c’est tout ce qui me permettrait d’expliquer aujourd’hui cette envie de transgresser les genres… ce qui fait finalement très peu. D’autant que le couple formé par mes parents était exemplaire et que je n’ai jamais souffert d’aucun déséquilibre en la matière, avec un père autant présent et prévenant que ma mère.
En revanche, j’ai toujours eu un côté artiste très développé (auteur, compositeur, écrivain, dessinateur, artiste de scène) et je pense pour mon cas que c’est plutôt cet aspect de ma personnalité, notamment par l’exacerbation à fleur de peau des sentiments, qui m’a naturellement porté à avoir un versant féminin plus fort que la moyenne. L’ouverture absolue à toutes les choses m’a permis ensuite de le reconnaître plus facilement et le fait d’être très extraverti m’a aidé enfin à l’assumer.
A moins que ce ne soit l’inverse !!!
Excellent! j’adore ton article Julien!
trop marrante la photo ou tu tires la tronche en faisant semblant de jouer avec ton cadeau…
Moi aussi je me suis vu petit…
Moi, c’est ma mère qui m’a couvée comme une princesse quand j’étais gamin qui m’a je pense fait devenir ce que je suis aujourd’hui. Mais c’est pas de sa faute… Elle a perdu son premier enfant à 3 mois. Du coup, elle s’est rendue coupable de sa mort (tentative de suicide et tout) et quand elle m’a eu 1 an plus tard… ma mère avait peur de me perdre aussi. Du coup, j’ai vécu dans un cocon toute mon enfance. Jusqu’à l’arrivée de mes soeurs…
Merci, Sonia 🙂 ! Ha, c’est toujours dur de voir arriver un petit frère ou une petite sœur 🙂 !
L’art a toujours cultivé l’ambiguïté. La société, non. Donc, ça peut se comprendre.
Oui vivement le prochain épisode
J’ai adoré ton article, Julien 😉
… et adoré au passage ces photos toutes mimi 🙂
On a toutes une enfance différente
Soyons honnêtes, je n’ai manqué de rien, et ai même été élevée dans un environnement surprotégé assorti du respect drastique des règles, des normes et du respect de tout et n’importe quoi
A côté de çà, nous étions 3 … frères et ai toujours entendu mes parents et même mes grands parents parler (insister)du désir profond d’avoir une fille / petite-fille
Et comme dès l’enfance je me posais déjà des questions à mon sujet et désirais être de l’autre côté du genre, je pense que çà m’a quelque poussée justement de l’autre côté
ceci dit, superbe article, et tu étais déjà mignon dis-donc 🙂
C’est gentil ! La suite devrait arriver très bientôt 😉
Moi aussi j’attends le prochain épisode, je suis très curieuse de découvrir ton expérience au collège qui doit s’avérer beaucoup plus complexe et difficile.
C’est le moins que l’on puisse dire :-p !
[…] Dans la première partie de L’enfance d’un travesti, j’évoquais la vie en couche-culotte et les premiers pas dans le monde de la transidentité : l’image de la maman, l’incapacité à différencier les genres et le rapport aux jouets. L’institution elle-même allait pourtant changer la donne puisque nous allons évoquer, dans cette deuxième partie, l’école qui m’a largement détourné de l’ambiguïté naissante. […]
Génial cet article ! Grâce à toi j’ai eu des flash back, (en ce moment je cherche des points d’origine de ma féminité) j’adorais aussi les poly pocket. J’y jouais avec ma cousine. ^^
[…] qui se découvrent à la crise de la quarantaine, mais, beaucoup vous le diront et moi le premier, les premières questions de genre remontent à la toute petite enfance. À cet âge, essayer les escarpins (beaucoup trop grands !) de maman en enfilant ses colliers de […]