Dans la précédente partie de L’enfance d’un travesti, j’évoquais la croissance de ma virilité. Ce que beaucoup imaginent comme l’accomplissement ultime du mâle est formellement incompatible avec le concept de féminité. L’école, le sport et l’environnement m’ont facilement détourné de ce que je suis. Pourtant, deux heureux événements allaient rendre possible la plénitude du travesti au placard dormant. Mieux, grâce à ma petite sœur puis à ma compagne, j’ai pu comprendre que dans l’art de se travestir, rien n’est sale !
Le petit scarabée de l’an 2000
Je me rappelle du 30 mai de l’an 2000 comme si c’était hier. Pas seulement parce que l’on acquérait mon frère et moi Pokémon Stadium mais surtout parce que, vers dix-sept heures, on « rencontrait » pour la toute première fois notre petite sœur : un infant à la tête déformée, mi-rouge mi-violet et incapable d’ouvrir les yeux. Ses ongles étaient si longs qu’elle était obligée de dormir avec des moufles ! On a souvent tenté de lui faire croire que nous l’avions trouvée dans un sac Lidl du local à ordures mais la vérité est tout autre : c’était bel et bien notre petite sœur et nous l’avons vue devenir un bébé magnifique.
Pour la première (et dernière) fois, j’étais grand-frère. Cela changeait radicalement ma conception des relations familiales puisque je devenais à mon tour un « protecteur », une sorte de gardien qui ne souhaitait rien d’autre que la défense de sa jeune sœur. Pour autant, cela ne m’a pas transformé en bête à poils, bien au contraire. Je n’étais pas encore très vieux, treize ans tout juste, et je découvrais chez elle un monde de féminité que je n’ai pas connu pendant mon enfance. C’est avec fascination que je la voyais grandir avec ses robes de poupons, parmi ses jouets de petites filles, dans une déco de petite princesse. Tout n’était pas aussi rose, à commencer par la table à langer ou les caprices dont elle avait le secret, mais ma petite sœur a grandi dans un univers de douceur, de délicatesse et de pureté qui trouvait un écho en moi.
Ce n’est pas tout. Aussi étonnant que celui puisse paraître, vers ses huit ou neuf ans, ma sœur qui était jusqu’alors un bonbon lilas a complètement changé : au revoir les jupettes, les couettes et les Polly Pocket. Mademoiselle avait décrété qu’elle ne s’habillerait plus qu’aux rayons « garçon ». Ses activités se sont aussi complètement métamorphosées puisque de la dînette et des Barbie, il ne restait plus rien. Comme de nombreux petits garçons avant elle, elle s’est passionnée pour le shōnen et les jeux vidéo. Et les boules représentant des scènes enneigées, mais c’est une autre histoire… Pourtant, elle n’a jamais ressenti la moindre honte à passer pour ce que l’on appelle un « garçon manqué » et cela m’a beaucoup fait réfléchir. Pourquoi, que diable, éprouvais-je autant de peine à exprimer mon attrait pour les choses et les trucs « féminins » ?
La chaleur venue de l’Est
En 2007 – c’était il n’y a pas si longtemps – j’ai rencontré Olga à l’Université d’Avignon. Je n’ai jamais été un grand séducteur et c’était, grosso modo, ma deuxième petite amie. Et encore, c’est un bien grand mot puisque la première fois, cela n’a duré que l’espace de quelques jours. J’étais le genre à passer mes nuits devant RPG Maker XP, que voulez-vous… Olga est entrée dans ma vie sans que j’y sois vraiment préparé et assez rapidement, nous nous sommes installés ensemble dans un quartier tranquille d’Avignon que nous n’avons plus quitté depuis. Si je vous raconte tout cela, c’est qu’Olga est une personne extrêmement féminine et que tout, chez elle, a ravivé mon attrait pour les petits trucs de nanas : des barrettes aux ballerines, des bracelets qui tintent aux baumes à lèvres…
Bien évidemment, comme beaucoup de travestis avant et après moi, je n’ai pas immédiatement éprouvé le besoin de lui parler de mon côté féminin. L’euphorie de l’amour ou l’effet placebo agissant, je ne ressentais même plus le besoin d’exprimer une quelconque forme de travestissement puisqu’Olga comblait en grande partie ce manque de ma vie. Elle était la féminité et, sans que je m’en rende tout de suite compte, un exemple pour moi. « Tout cela n’était que passager », me suis-je même laissé dire, alors même que jamais la féminité n’avait autant pénétré mon quotidien.
Parce qu’Olga n’est pas d’origine française, elle retourne régulièrement au « bled » et je suis parfois seul pendant plusieurs semaines. Les premières fois qu’elle me quittait aussi longtemps, c’était étrange puisqu’un malaise se créait au sein de notre foyer. Tous ses objets étaient là. Dans sa penderie, rien n’avait bougé, son petit coin maquillage était intact et ses bijoux désespérément inanimés. C’était comme si toute la féminité de notre vie à deux avait quitté les lieux. Recherchant cette féminité évanouie, je désirais toujours ardemment enfiler ses robes sans que je puisse m’y glisser, problème de taille, pensez-vous. Pourquoi ne pas m’offrir les miennes, dans ce cas ?
Travesti un jour, travesti toujours
Assez rapidement, le sujet était à l’ordre du jour mais ni elle, ni moi ne connaissions « ce monde » qui paraissait irréel, quand j’y repense. La question n’a jamais été plus creusée que cela, si ce n’est que nous en avions conclu, elle et moi, que j’aurais sans doute préféré être une fille. Point à la ligne. Un homme est un homme, une femme est une femme, alea jacta est, et il ne nous est même pas venu à l’idée qu’il était possible de vivre quelque part entre les deux. Sans compter que nos maigres revenus de l’époque n’étaient clairement pas suffisants pour couvrir les frais, souvent indigestes, d’un travesti débutant.
Pourtant, un mini-événement a déclenché et précipité le travestissement au sein de notre vie commune. Je pense ne l’avoir jamais évoqué sur le blog et c’est pourtant assez comique : un jour banal d’un quotidien confortable, Olga s’était acheté une paire de chaussures sur Internet, mignonnes comme tout mais légèrement étroites pour ses larges orteils. N’ayant pas d’embauchoir sous la main, elle m’a demandé de les enfiler pour les détendre avec mon pied des plus balèzes et nos quatre pointures d’écart ! Cela n’a vraiment pas fonctionné, très franchement, mais ça a complètement animé la partie féminine qui ne s’était pas exprimée en moi depuis l’enfance. C’est bien simple, je n’avais depuis lors plus rien porté qui soit issu d’une garde-robe de femme.
La suite, vous la connaissez : j’ai fait quelques recherches, des lectures plus ou moins intéressantes et j’ai finalement fini par tenter le maquillage. Nous avons acheté des vêtements puis une perruque et peu de temps après, XXY.fr voyait le jour…
Chassez le naturel, il revient au galop
C’est tout pour ces chroniques de L’enfance d’un travesti ! J’espère qu’il vous a plu de les lire ; en tout cas, j’ai beaucoup appris sur moi-même en les écrivant. Je pense que c’est le cas pour beaucoup de travestis et je vous invite à y réfléchir : j’ai passé beaucoup de temps et dépensé une belle quantité d’énergie à refouler cette partie de moi-même. J’ai imaginé qu’il était possible d’occulter cette féminité envahissante mais tout la ramenait à moi, malgré le regard des autres, malgré la société, malgré mes propres craintes.
Avis aux parents : pour leur bien, n’empêchez pas vos jeunes pousses de vivre pleinement leurs vies. Il est possible de créer l’illusion que l’homosexualité, la transidentité, la passion des jeux vidéo ou que sais-je encore ne sont que passagères. Ce n’est pas le cas. En plus d’aiguiser les craintes et d’agiter les questions intérieures de vos bambins, leurs vies se compliquent puisqu’une grande partie du temps, il s’agit de jouer un rôle, pour faire « bonne figure »… Jusqu’à l’émancipation. De toute façon, qu’on le veuille ou non, ce n’est pas une question d’éducation et cela, de nombreuses consœurs le savent : « on ne devient pas travesti. On se découvre » !
Peace.
Les boules à neige, c’est la vie (je suis d’ailleurs à la recherche d’une boule à neige Batman).
Anyway (comme diraient les hipsters), j’ai beaucoup aimé cet article. Non pas parce que tu parles de moi là dedans (peut-être un peu, quand même), mais plutôt parce que ton chemin vers le travestissement et réellement intéressant ; et je suis réellement ravie d’avoir participé -ne serait-ce qu’un tout petit peu- à ton épanouissement personnel. (:
Comme quoi, on a autant à apprendre des plus âgés que des plus jeunes 😉 ! Oui, tu as participé à l’éclosion d’un travesti. En contre-partie, tu as découvert Phoenix Wright… Pas sûr que tu soies gagnante dans toute cette histoire 😉 !
Ta vision du travestissement est passionnante, et la dernière phrase me parait trés juste Michelle
Merci 🙂 ! C’est assez vrai pour beaucoup de choses dans la vie. Il y a plein de trucs qui pourraient nous passionner mais on ne le sait pas toujours…
Une bien belle histoire qui fait rêver.
Merci de nous avoir fait partager tout ça ! 🙂
Bisous
Mais avec plaisir et n’hésite pas à nous partager tes premiers pas de travesti 😉 !
Wah ! Le défi… A vrai dire, je n’en sais rien. Ca mérite réflexion en effet… 🙂
Introspection intéressante, avec d’un coté une petite sœur qui le plus naturellement possible penche vers les « trucs de garçon » et de l’autre une compagne très féminine. Cela donne finalement deux exemples à suivre, l’un plus psychologique et l’autre plus physique.
Mon histoire de travesti est radicalement différente et je pense que prochainement je ferais ma petite introspection également. 😉
Je vois déjà l’histoire. « Quand soudain, un sanglier… » 😉
bonsoir
je suis ton blog pratiquement depuis le début j’adore ce que vous faite c’est touchant plein de délicatesse
continuer j’apprends plein de truc merci
Merci pour ce gentil commentaire ! Bonne lecture 😉 !
Coucou Julien,
Une belle histoire, qui confirme que derrière un travesti, il y a souvent une, voire plusieurs muses. Je retrouve bien ces moment d’absences où l’on se retrouve face aux éléments féminins laissés ça et là, propageant comme des ondes attractives.
Mais ouille, quatre pointures d’écart, j’en ai mal aux pieds rien que de l’imaginer 😉
Bisous,
Véro
Hé, hé. Et les chaussures en question ont même résisté aux embauchoirs du cordonnier, alors bon…
J’aime beaucoup ces témoignages qui sont bien écrits et surtout je crois bien utile. Assez peu de personnes expliquent aussi bien que toi comment « ça s’est passé » Les photos que tu nous présentent sont émouvantes quand on apprend le contexte.
Un seul mot: BRAVO!
Merci pour ton gentil commentaire 🙂 ! Au plaisir=)
Merci pour ton histoire, toujours agréable à lire et pour l’audace de t’exposer complètement ( ou presque….). C’est curieux mais ma femme m’a aussi demandé quelques fois a mettre ces chaussures qui étaient trop étroites. J’ai l’avantage de n’avoir qu’une pointure de difference par contre.
Merci Moune ! C’est sympa de servir d’embauchoir 😉 ! Y a peut-être un filon, un métier qui n’existe pas encore. Bonjour la pénibilité du travail par contre. À 50 ans, tu rampes !
Donc en fin de compte si je comprends bien : Émilie, ton travestissement, le blog, les heures de sommeil perdues à tenter de suivre tes tutos, la fortune que j’ai dépensé en maquillage, perruques, robes et escarpins… tout ça c’est la faute d’Olga!!!
😉
Merci pour cette belle dernière partie toute aussi touchante que les précédentes. Et qui encore une fois va me donner à réfléchir sur les origines de Sophie.
Et merci pour la fraise Tagada. Elle est craquante. :-p
On peut dire ça comme ça. La pauvre 😉 !
Ha, je connais une partie de l’histoire de la Petite Sophie et ça ferait un très bon article dans lequel beaucoup se retrouveraient, je pense !
coucou Julien
Un grand merci pour ce témoignage des plus intéressants sur tous les plans.
C’est aussi très sympa de t’ouvrir ainsi, même, de nous dévoiler ainsi également une partie de ta vie, ce qui pourtant est assez intime quand on sait que beaucoup de travestis restent assez secrets sur leur vie personnelle pour mieux se protéger 😉
Celà permet également à bon nombre de comprendre comment tu en es « arrivé » là. Et beaucoup d’entre nous y retrouveront parfois des similitudes assez troublantes 🙂
Encore merci pour ce partage très personnel.
Bisous
PS: merci aussi pour les photos, craquantes 😉
Merci pour ce gentil commentaire ! Les photos craquantes, ha il ne manque plus qu’une photo de chatons et ce topic devient kawai ! 😉
C’est si bon de te lire, ce blog en soi permet de recentrer notre plaisir, dépoussièrer notre image.
Pour tout ça je te dis chapeau et puis ces premières photos de toi me ramènent à mes premiers makeup pas vraiment réussis…. mais chuuuut
Bises
Barbara
Cela fait de belles archives et c’est parfois attendrissant de voir les premières photos d’un travesti 😉 !
Bonjour Julien
J’ai découvert ton (excellent) blog en même temps que mon envie de me travestir.
J’aime particulièrement le ton décomplexé et naturel dont tu en parles
Bravo pour ce que tu fais, et bravo à Olga de t’accompagner chaque jour
Bises
Axelia
Merci et bonne lecture 🙂 !
Tu ne te trouve pas réussie sur la dernière photo de cet article? Eh bien tu te trompe, tu est craquante:)
J’aimerai bien avoir la patience et faire autant d’efforts que tu en a fait pour t’assumer.
On me dit souvent que je suis mignon, mais je ne fais aucun effort, toi tu as eu le courage, et peut être un peu de chance, de te lancer, j’envie ta force et te souhaite tout le bonheur du monde.