Il n’y a pas très longtemps, une équipe d’élèves de l’École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle appelait au financement pour un projet de court-métrage : Son Mascara. « Financé avec succès », le macaron sur la page Ulule ne ment pas, la jeune équipe a pu s’atteler à la tâche. Trois mois plus tard, le film était déjà réalisé, monté, mixé et gravé sur CD ! Mieux, il était livré dans les boîtes aux lettres des donateurs. Ah ! La fougue de la jeunesse. Devant l’ambition et la passion déployés par ces futurs professionnels du septième art, je ne résiste pas l’envie de vous livrer mes impressions sur ce film qui trouvera, j’en suis sûr, un écho chez les lecteurs de XXY.
Mise à jour du 9 juillet 2015 : la vidéo est maintenant disponible !
Une (nouvelle) nouvelle amie
Synopsis : Kevin, seize ans, vit seul avec son père depuis la disparition tragique de sa mère. En pleine adolescence, Kevin parle peu, se réfugie dans son monde, délaissant toute relation avec son père. Il va être confronté à ce qu’il voit comme un drame : son père se travestit. Pour le jeune homme c’est une trahison, un nouvel abandon. Jean-Yves, son père, devient alors Josie, il se sent revivre, c’est un besoin vital, une forme de survie. L’incompréhension entre le père et le fils va devoir se mêler au regard des autres, lors de la réunion parents-professeurs, organisée par l’école de Kevin. Une catastrophe pour le garçon, qui n’accepte pas l’apparence de son père, mais une aubaine pour celui-ci qui souhaite surmonter cette épreuve avec son fils.
La découverte de Son Mascara évoque, sans équivoque, Une nouvelle amie de François Ozon. Jean-Yves, alias Josie, est à l’instar de David un jeune veuf qui s’apprête plus volontiers d’une robe à fleurs que d’une chemise hawaïenne. Reste que cela se présente comme un drame pour son fils, Kevin, qui découvre le pot au rose par le plus grand des hasards. L’outing est d’une violence rare et la relation père-fils se lézarde âprement.
Mais l’acceptation d’un père travesti n’est pas la seule problématique que soulève le court-métrage. Comment une famille peut-elle surmonter la disparition d’un être ? La communication n’existe pas entre le père et son fils et la connexion entre eux deux finit par se créer par la force des choses, à cause de l’absence d’une épouse-mère qui créait le lien.
Ancré dans la réalité « T »
On pourrait être tenté, en réalisant un film sur une problématique aussi méconnue que le travestissement, de tomber dans la facilité. D’aucuns évoquent un rapport charnel, presque érotique, du travesti à son habit, d’autres s’imaginent les excès des shows burlesques et transformistes. Son Mascara est étonnamment juste quant à son traitement de la transidentité. Josie est modeste, discrète et fragile, loin de l’image sulfureuse que l’on prête aux « T ».
Point de lèvres outrageusement rouges, les minis ne sont pas si courtes : Son Mascara décrit le travestissement comme on ne le représente que trop rarement, dans les médias j’entends. Josie n’a pas un passing parfait, loin s’en faut, ce qui ne l’empêche pas de s’épanouir en ne prêtant guère attention aux regards des autres. La trame ne met en scène que des moments du quotidien : le lycée, le canapé devant le téléviseur, la vaisselle. Finalement, ça tranche assez radicalement avec le cinéma transgenre qui a une tendance assez farfelue à systématiquement inclure une scène de cabaret.
Réussir son coming out
Son Mascara s’axe en partie autour de l’épineux et éternel problème du coming out ; en l’occurrence, de l’outing. Rien n’explique pourquoi « l’existence » de Josie était tenue secrète auprès de Kevin, puisque sa femme disparue « savait ». La réaction de Kevin en apprenant le travestissement de son père est vécu comme une douloureuse trahison, corroborant les témoignages de nombreuses épouses de travestis, lorsqu’elles sont tenues à l’écart de ce « petit » secret.
Cela dit, malgré les propos d’une brutalité humiliante que tient Kevin envers son père, qu’il qualifie de « vieille folle », la réalisatrice offre l’expectative de jours heureux entre Josie et Kevin. Le déclic de l’acceptation est d’ailleurs assez proche de ce que beaucoup de travestis vivent réellement ; c’est au moment où Josie s’assume elle-même que Kevin l’accepte telle qu’elle est. Dès lors que Josie n’est plus un personnage « de salon » mais devient un personnage « sociable », l’acceptation est presque instantanée. Les plus observateurs remarqueront que jamais Josie et Kevin n’apparaissent sur le même plan jusqu’à la séquence du lycée où la magie opère…
Court métrage
Son Mascara est un film très court, onze minutes à peine, au budget restreint. Pourtant, il offre un angle d’attaque assez rare et novateur pour un film sur le travestissement : la transidentité y est présentée comme une activité absolument désérotisée. Enfin ! On n’y trouve même pas le côté spectaculaire d’une transformation où « il » devient « elle » avec un plan serré sur les lèvres au moment de les maquiller, quand ce n’est pas un travelling vertical sur un bas enfilé qui rend le tout plus kitsch qu’il ne le faut.
Peut-être que la génération des réalisateurs qui se profile connait mieux ou, tout du moins, perçoit mieux les problématiques liées au travestissement. Une carrière cinématographique ne se juge pas à un court-métrage réalisé dans le cadre d’un cursus scolaire. Il convient tout de même de souhaiter bon vent à de jeunes artistes éclairés représentant la communauté « T » dans sa simplicité la moins patente.
Présentation rare du travestisme avec sérieux, respect, dignité, sobriété (et en effet désérotisée), du travestisme tel qu’il est réellement. Avec un prime un message d’espoir. Une gageure en dix minute d’un film en plus émouvant. En espérant que ce court métrage constitue la rampe de lancement d’un futur long métrage, il y a la matière pour cela.
Le problème c’est qu’on connaîtrait déjà la fin, du coup ^_^
perso moi je l’ai déjà oubliée la fin, donc zéro problème, du coup 😉
Bravo Julien, tout est dit dans ton article. Je voudrais ajouter que je trouve excellent le travail des élèves sur ce court métrage.
Ça donne envie de retourner à l’école pour bosser sur de tels sujets, j’avoue.
Très beau film. On aimerait que ce soit plus long et plus développé sur plein de transitions, de moments…
Mais la base est très prometteuse je trouve. Bravo aussi aux acteurs.
Merci pour cette découverte 🙂
La partie « non-traitée » qui me laisse le plus songeur est de savoir comment son épouse considérait le travestissement. « Elle savait », mais qu’en pensait-elle ? On le saura dans Son Mascara Origins, peut-être 😉 !
Superbe article, j’avais vu sur ton site déjà le projet et je suis contente de lire le résultat. L’article étant super, est-ce que je peux le pomper honteusement sur mon site? Je ferai bien entendu le lien vers le tien!
Coucou, Maéva ! Merci pour les gentils mots 😉 ! Je n’y vois aucun inconvénient mais je déconseille fortement de copier / coller le convenu en raison de la règle selon laquelle Google n’accepte pas les contenus dupliqués : https://support.google.com/webmasters/answer/66359?hl=fr
Cela nuit aux référencements naturels des deux sites (le site dupliqué ainsi que le site qui duplique). Dans ces cas-là, le mieux est de faire un extrait que tu commentes, par exemple.
Bises 😉
Je n’ai pas trop aimé le court métrage de Cécile Heckel.
Désolé ! Je le trouve même dangereux d’inconscience quant aux démarches relâchées qu’il peut autoriser, sinon induire. Et c’est en tant qu’ancien enseignant et travesti occasionnel accepté avec bienveillance par sa compagne, que je dirais que bien des combats restent à mener avant que cela puisse ce produire.
Je ne pense pas, à l’heure actuelle, qu’un travesti aussi peu féminin que celui présenté dans le film, puisse entrer dans un collège. Personnellement (un peu trop masculin aussi), je ne le ferais pas. Peut-être, avec du bravoure, je pourrais, dans certains lycées, en les choisissant bien, pas trop dans les « quartiers »… La réaction du public ne se cantonnerait sûrement pas à quelques rires ou moqueries isolée. Elle prendrait vite une allure d’émeute que l’encadrement, pas forcément très réactif sur le coup, aurait du mal à contenir… J’ai vu des élèves accompagner en horde hurlante une actrice qui parrainait un établissement. Impossible de les calmer, mais le pire c’étaient que certains ne savaient pas pourquoi ils criaient ou gesticulaient. C’était uniquement par mimétisme !
Et aurais-je confiance aux collègues-enseignants ? en l’administration ? au service d’accueil ? Je parle bien ici de tolérance, d’éducation, d’ouverture d’esprit, voire de culture. Tous n’ont pas ces qualités qu’on ne leur demande plus…
Mais le risque est bien sur l’enfant.
Il va lui falloir du cran par la suite pour affronter les quolibets, les regards fuyants, la perte de ses amis déclarés proches, l’isolement que les familles imposeront… Il va lui falloir aussi une carrure suffisante pour répondre aux provocations hors l’enceinte du collège ou du lycée… Il ne s’agira pas d’affronter une dizaine de jeunes posés sur leurs scoots dans une rue où tout le monde se connait. Il s’agira d’affronter un maxi-microcosme de 800 à 1200 inconnus qui vont être dérangés dans leurs Nike à la mode, dans leurs habitudes, par cet « autre », cet étranger, cet étrange, qui leur permettra de faire oublier leurs propres échecs, leur propre ethnie, leurs propres complexes, leur propre sexualité dévoilée, remise en cause…
Par ailleurs, je n’irai jamais cherché mes petits enfants ainsi vêtu, à moins d’une féminité incontestable (rare) qui puisse me faire passer pour sa mère, et à condition encore qu’il l’ait accepté après un travail comme XXY le préconise dans d’autres articles. Pour le moment le travestissement, l’homosexualité ne sont encore pas assez ancrés dans les meurs. La féminité de l’homme (du vir) n’est pas encore totalement acceptée et nombreuses sont encore les réflexions machistes qui se moquent d’une larme d’homme.
Le gamin serait exposé gravement dans ce cas.
Il s’agirait pour lui d’un coming out forcé. De plus, je le répète, dans le cadre actuel où l’homophobie comme la transphobie qui lui est assimilée reste latente, c’est risquer — comme c’est d’ailleurs parfaitement entendu dans le film — de perturber la sérénité de l’enfant et par là-même de nuire à son apprentissage, ses études, et même plus.
Toutefois l’intérêt de ce film est qu’il permet ici débat. Put-être aussi me trouvera-t-on insuffisamment militant, trop retenu. Dans mon cas, Julien comprendra, ce serait un comble !
Féminin ou pas, là n’est pas la question. Le film ne fait pas l’apologie de la féminité ou du « passing parfait » ou que sais-je encore, mais uniquement du « être soi-même » et de la tolérance. C’est quelque part enfoncer une porte ouverte qu’écrire « je ne me travestirais pas dans les quartiers, uniquement dans des lieux choisis », comme une femme ne sortirait sans doute pas sur son trente-et-un dans beaucoup de quartiers sensibles.
Le cadre du lycée a toute sa légitimité pour ce qu’il représente au sein de la diégèse ; après, Son Mascara reste une fiction. Maintenant, oui, l’enfant serait exposé gravement dans ce cas, mais pas plus que si son père était gendarme, que s’il était bègue, que si… L’école est malheureusement un lieu de violence verbale forte, et ça peut sincèrement frapper à n’importe quelle porte pour n’importe quel motif.