The Danish Girl

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En dépoussiérant les livres d’histoire et les récits mythologiques, on découvre des traces de transidentité à des époques que l’on ne soupçonne pas. À croire que le mélange des genres existe depuis les premiers pas de l’Homme, et de la Femme. On en oublierait presque que la chirurgie de réattribution sexuelle n’existe que depuis le XXème siècle, la plus ancienne opération connue à ce jour étant celle de Lili Elbe, en 1930. The Danish Girl de Tom Hooper, adaptation du roman du même nom de David Ebershoff, nous raconte l’histoire romancée de cette première opération.

Something is rotten in the state of Denmark

Gerda et Einar Wegener sont deux artistes de Copenhague du milieu des années 20. Alors que l’une de ses toiles arrive à son terme, Gerda requiert d’Einar qu’il pose pour elle « en femme », son modèle étant en retard. De fil en aiguille et de bas en robe, le couple trouve son épanouissement dans les travestissements d’Einar : artistiquement, Gerda fleurit en peignant de somptueux portraits de Lili, troublante de ressemblance avec Einar. Quant à Einar, il finit par se découvrir femme et aimerait devenir Lili à une époque où changer de sexe tient de la fiction. Impossible n’est pas français, le couple rencontre à Paris un chirurgien spécialiste.

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Il faut bien comprendre qu’en 1920, la transsexualité est considérée comme une folie. Einar rend visite à de nombreux docteurs qui lui assignent, arbitrairement, des troubles psychiques. Le couple quitte subitement le Danemark après qu’un médecin ait signé, pour son « bien », une ordonnance d’internement. Les experts diagnostiquent en lui une schizophrénie. Il faut au couple engager un combat de longue haleine avant qu’un chirurgien ne comprenne la nature du « trouble » de Lili : être une femme née dans le mauvais corps.

L’histoire de la chirurgie : du silex à nos jours

Einar lui-même a du mal à se comprendre, dans une société où la transsexualité n’existe pas. Il faut dire que dans les années 20 et 30, le sujet était parfaitement inédit. L’histoire déborde de travesti(e)s célèbres mais jamais un individu n’avait changé de sexe. Avant d’être une prouesse chirurgicale, ce que l’on appellerait des décennies plus tard « une transition » dépeint un véritable changement dans une société où, à défaut d’accepter, on commence à comprendre la transsexualité. Plusieurs personnages représentent cette évolution des mœurs, dont Henrik, amant puis ami de Lili qui se découvre homosexuel ou Hans, qui voit en Einar / Lili un(e) ami(e), rien de plus. Gerda Wegener, elle, comprend que les souffrances de son mari ne peuvent être apaisées ni par un médecin, ni par un psychiatre ; sa façon de penser est franchement avant-gardiste quand on sait que la France est le premier pays au monde à reconnaître que la transsexualité n’est pas une maladie mentale… En 2010 !

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Toujours est-il que l’évolution des mentalités aura permis à des chirurgiens de se pencher sur la question de la chirurgie de réattribution sexuelle. L’œuvre parle de deux lourdes opérations ; dans la vie réelle, Lili Elbe en aurait subi pas moins de cinq, dont la dernière – un échec – consistait en une greffe d’utérus. Depuis lors, les volets endocrinologiques et chirurgicaux se sont raffinés, on l’oublierait presque, grâce à l’abnégation de personnes dans le cas de Lili, prêtes à tous les sacrifices pour être elles-mêmes. Sa détermination est d’autant plus remarquable qu’elle était la « première » transsexuelle, avec ce que cela implique de risques et d’incertitudes.

In caritate perpetua

Dans cette histoire de transition dont Lili est la principale intéressée, n’est-ce pas, son épouse Gerda joue un rôle déterminant. Tout d’abord, parce que c’est elle qui invite Einar vers le travestissement. Elle lui fait découvrir Lili, en peignant ses portraits, en l’invitant à sortir en femme et en refusant, purement et simplement, que son époux puisse être « malade » ; d’ailleurs, elle ne tient pas à ce qu’il rencontre des médecins, bien au contraire. Un aspect importé de sa vie, occulté dans le film, est de dessiner des illustrations érotiques, ce qui lui vaudra d’ailleurs une grande partie de sa renommée. On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles cela n’est pas évoqué dans The Danish Girl, peut-être dans un souci de « désérotisation » de la transsexualité, qui sait ? Toujours est-il que de nombreuses illustrations dont elle est l’auteure représentent des scènes lesbiennes, la preuve de son ouverture d’esprit irréfutable il y a de cela presque un siècle.

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Gerda, malgré les doutes, malgré les peurs, soutiendra Lili jusqu’à la fin. Pourtant, de nombreuses raisons pourraient la faire rompre, notamment son attrait pour Hans, surtout important dans l’intrigue parce qu’il est le troisième côté d’un triangle amoureux. Gerda ne cessera jamais de peindre Lili, elle la suivra dans ses opérations et elle continuera de vivre à ses côtés. Cela peut sembler anodin mais Lili, elle, n’a pas forcément cette ouverture d’esprit. Elle ne comprend pas pourquoi Gerda et elle devraient continuer à vivre ensemble, ayant changé de sexe. Gerda, sur l’oreiller, lui glisse à travers la moustiquaire, symbole d’un voile qui les sépare mais qu’il est facile de franchir, qu’importe : Einar ou Lili, pour elle, il ne s’agit que de la même personne. Quel que soit le sexe, quel que soit le genre, elle l’aime comme elle est et qui qu’elle soit.

13 commentaires

  1. Il est vrai qu’a un moment, je n’ai pu m’empêcher de trouver Lili égoïste par rapport à Gerda.
    « Cela peut sembler anodin mais Lili, elle, n’a pas forcément cette ouverture d’esprit. »
    J’en ai eu mal pour Gerda.

  2. J’ai vu le film, j’ai beaucoup aimé le travail des artistes, et malgré les licences prises par rapport aux personnages réels, c’est un film qui est émouvant sans devenir ni dérangeant ni vulgaire. Une vraie danse au fil du rasoir.

    J’ai cependant des réserves par rapport à Einar. Je le trouve très égoïste moi aussi, et je trouve Gerda très courageuse et pleine d’abnégation, une personne d’une grande maturité et capable de faire des jugements rationnels en dehors d’une époque pleine de préjugés. A la sortie du film, ma femme m’a fait remarquer que le vrai personnage du film, c’était elle, lui n’étant qu’un prétexte pour mettre en valeur cette femme. Je pense qu’elle a raison.

  3. À voir dans la peinture classique :
    « Chez Girodet, Endymion prend les traits d’un éphèbe au corps caressé sensuellement par les rayons de la déesse de la lune, ayant inspiré de nombreuses interprétations homoérotiques. Chez les symbolistes comme chez Gustave Moreau, la différence entre les sexes est consommée au détriment d’un homme vulnérable, sous l’emprise d’une force fatale et destructrice identifiée comme féminine. »
    (http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/au-musee-dorsay/presentation-detaillee.html?zoom=1&tx_damzoom_pi1%5BshowUid%5D=130065&cHash=9383283bca)
    À la Renaissance, chez Raphaël, le portrait ambigü du condottiere Francesco Maria Ier della Rovere que certains attribuent aussi à la belle Hypathie !
    Quant à la Grèce antique…
    Perso, ce qui me plait chez un homme c’est sa féminité ! D’ailleurs, j’ai horreur des femmes masculines !

  4. Je me suis dit que cette année, je n’allais pas pleurer en allant regarder un film.
    Comme ce le fut l’année dernière en 2015 lorsque je suis allé voir  » Interstellar » ou « Her » et puis sous les conseils d’une amie je me suis procuré « The Danish Girl ».
    Heureusement pour moi que je n’étais pas maquillé après le visionnage, car je pense que l’on n’aurait pas pu me reconnaître tellement j’ai été ému à chaudes larmes par la prestation de ces deux grands acteurs.
    le scénario de ce film ne pouvait être qu’une histoire vraie, la prestation de Eddie Redmayne mérite 1000 fois l’Oscar, autant que la prestation de Alicia Vikander. Tout était parfait, tout était juste, tout était impeccable , sans aucun défaut et j’ai souffert autant avec Einar qu’avec Gerda (surtout avec Gerda d’ailleurs.)
    je m’imagine les difficultés qu’il a pu avoir pour être une femme à cette époque de là, voyant nous les difficultés que nous avons à l’heure actuelle et à notre époque. Sachant que quand même c’est rentrer un petit peu plus dans les moeurs.
    Ce film m’a tellement plus, que je l’ai regardé de nouvelle fois juste après l’avoir vu une première fois. Donc et pour en résumer ce film fera parti de mes films le culte et restera à tout jamais dans ma vidéothèque.

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